Juliette Drouet

Subscribe to Juliette Drouet feed Juliette Drouet
Ce site propose l'édition savante du journal épistolaire de Juliette Drouet à Victor Hugo : environ vingt-deux mille lettres annotées par une équipe universitaire, publiées progressivement sur la présente plate-forme.
Updated: 12 hours 2 min ago

12

Wed, 30/03/2016 - 16:23

12 mars [1849], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, comment va ton rhume ? J'espère que tu ne te seras pas couché trop tard hier et que tu auras eu la précaution d'avoir très chaud aux pieds, ce qui aura pu enrayer ton rhume ? En attendant que je sache comment tu vas, je t'aime de toutes les façons et de toutes mes forces. Je voudrais déjà avoir vu le père Triger pour savoir à quoi m'en tenir sur mon mal de pied. Tout ce que je sais, c'est que je souffre horriblement et que, malgré mon désir ardent de t'accompagner tous les jours, et aujourd'hui d'autant plus qu'il y a huit jours que je suis sevrée de ce bonheur, il m'est impossible de songer seulement à me chauffer tant mon pied me fait mal [1]. J'attends M. Triger avec une impatience égale au désir que j'ai de sortir avec toi. C'est que je n'ai que ce moment-là pour te voir car les pauvres petites apparitions que tu fais le soir et le tantôt ne servent qu'à rendre ton absence encore plus sensible en me montrant le bonheur que je n'ai pas le temps de recueillir. Mon Toto adoré, je t'aime, je voudrais être sûre que tu ne souffres pas pour me faire trouver le temps moins long d'ici à tantôt. En attendant, je pense à toi, je repasse le moindre de tes mouvements dans ma mémoire, je me souviens des plus petits mots que tu as laissésa tomber et je souris à ton noble et radieux visage qui m'éblouit et qui me ravit.

Juliette

MVHP, MS a8161
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « laissé ».

12 mars [1849], lundi après-midi, 3 h.

Je vous ai suivi des yeux jusqu'à la rue de la Tour d'Auvergne, mon amour, et vous n'avez pas tourné la tête une seule fois. Comment voulez-vous que je me fasse illusion après cela et que je me croie bien aimée ? En attendant, vous abusez de mon infirmité pour me voir le moins possible mais moi je vais me faire faire toutes les opérations nécessaires pour être plus vite guérie afin de courir après vous et de ne plus vous quitter, quelque temps qu'il fasse et quelque grimace que vous fassiez. Je suis résolue à tout tenter pour arriver à me guérir plus vite. Quelle bête de femme je fais avec mon pied ! Dieu sait pourtant que cela ne m'amuse pas et que je ne manque pas d'un certain courage mais il m'est impossible d'essayer même de me chausser. C'est devenu une véritable torture. Aussi, je veux tâcher d'en finir une bonne fois avec cet affreux pied. C'est un parti pris. À la faveur de cette consultation, le père Triger m'a remis des papiers concernant un orphelin pour Petit-Bourg [2]. Je lui ai dit tout de suite que la chose me paraissait peu faisable. Tu verras toi-même jusqu'à quel point j'ai eu raison de lui donner peu d'espoir à ce sujet. Maintenant que j'ai bien gémi et bien grognéa sur votre indifférence et sur mon pied, laissez-moi vous prier de venir me consoler ce soir et vous baiser sur les deux yeux et ailleurs.

Juliette

MVHP, MS a8162
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « grogner ».

[1] Juliette souffre d'une crise de goutte depuis plusieurs jours.

[2] La « Société de Petit-Bourg » est une œuvre philanthropique en faveur des enfants pauvres et des jeunes délinquants. Victor Hugo en est devenu le président le 28 mai 1848.

Categories: Les projets

11

Wed, 30/03/2016 - 16:23

11 mars [1849], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour ; que le sommeil te soit bienfaisant et qu'il te montre en rêve la pauvre femme qui t'aime comme son ange consolateur, te bénissant et appelant sur toi et sur tous ceux que tu aimes toutes les joies et tous les bonheurs de ce monde.
Je vais aller à Saint-Mandé [1] ce matin ; j'espère et je suis presque sûre d'être revenue assez tôt pour te conduire. Cependant si je devais avoir le malheur de te manquer je veux préparer avant de m'en aller tout ce qu'il te faut : du bouillon pour ton estomac et l'eau pour tes yeux. Il me semble que ce que je te prépare moi-même s'imprègne du désir et de la volonté que j'ai de te faire du bien. C'est pourquoi je tiens tant à ne pas laisser faire toutes les petites choses qui sont destinées à ta santé par d'autres que par moi. C'est une superstition trop douce pour offenser le bon Dieu et j'y attache une très grande importance. Cher adoré, pense à moi quand tu te réveilleras, pense à moi quand tu verras auprès de toi ta belle famille heureuse, pense à moi toujours pour que les battements de mon cœur ne s'arrêtent pas. Je t'aime comme je te respire. Mon amour, c'est ma vie, mon bonheur, c'est toi.

Juliette

MLM, 3278
Transcription de Gérard Pouchain

[1] Claire Pradier, fille de Juliette Drouet et James Pradier, est enterrée au cimetière de Saint-Mandé.

Categories: Les projets

10

Wed, 30/03/2016 - 16:23

10 mars [1849], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon ravissant bien-aimé, bonjour, mon idéal petit goinfre, bonjour, quelle surprise, mon pauvre amour, de voir tout à l'heure en ouvrant ma fenêtre le terrain en face changéa en Sibérie. Je ne m'étonne plus qu'il faisait si froid hier. Maintenant, j'attribue à ce changement brusque de température la recrudescence de mon mal de pieds [1]. Il faut bien que je l'attribue à quelque chose car depuis hier j'en souffre plus que jamais, même dans le lit. Mais laissons de côté cette littérature de baromètre et de cul-de-jatte pour parler un peu de notre bâfrerieb d'hier. J'espère que ces pauvres gens ont fait des frais pour te fêter ? Aussi, ai-je été consternée quand tu es entré et que tu as énoncé ta réunion électorale pour 8 h ½. Outre mon propre déplaisir, je sentais la déception de ces pauvres gens et j'en souffrais on ne peut pas davantage. Heureusement qu'à force de bonté et de gaîté, tu as su faire passer la douleur sans trop nous faire crier. Et puis tu es revenu dès que tu as pu, mon cher amour, et bien que ce fût pour la GEULE, nous avons eu la même joie que si tu étais revenu seulement pour nous. Moi du moins j'étais aussi heureuse qu'au bon temps de TON premier amour. Quant à ce pauvre M. V. [2], outre sa timidité naturelle, qui redouble en ta présence, il est d'une médiocrité telle dans la conversation que, malgré tous tes généreux efforts, tu as dû laisser tomber la conversation à ton dernier pruneau et à ta dernière goutte d'eau sucrée. Je m'en suis bien aperçue et je t'ai remercié du fond du cœur de la cordiale bonté que tu avais misec pendant tout ce festin. Je t'aime plus que jamais.

Juliette

MVHP, MS a8159
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « changer ».
b) « baffrerie ».
c) « mise ».

10 mars [1849], samedi matin, 11 h.

Je suis encore dans mon lit, mon bien-aimé, pour économiser mon bois d'une part et reposer mes pieds de l'autre. Je voudrais me mettre en état de reprendre mes courses avec toi lundi. Aussi, je fais tout ce que je peux et je prends toutes les précautions pour ne pas irriter davantage mes stupides pieds. Si je [ne] parviens pas à les calmer et à les guérir, ce ne sera pas de ma faute et je ne saurai plus qu'y faire et que n'y pas faire car j'aurai essayé et usé tout. J'ai oublié de te faire baigner les yeux, ce qui m'a contrariée on ne peut pas davantage. Rien ne m'est plus désagréable que ces oublis-là surtout depuis que tu as si peu d'occasions de baigner tes pauvres yeux adorés. Enfin, je suis un être absurde, ce n'est pas de ma faute. Tout ce que je peux faire, c'est de m'en vouloir à la mort et c'est ce que je fais de tout mon cœur depuis hier au soir. Je ne te prie même pas de me demander pardon tant je suis furieuse. Mon Victor adoré, je vous aime jusqu'à me rendre responsable de tout ce qui vous arrive d'ennuyeuxa et de mal et pour y mieux réussir je me déteste de fond en comble. J'espère que tu n'iras pas à l'Assemblée avant de venir me voir ? Si tu faisais cela tu me ferais beaucoup de chagrin. Sais-tu, qu'en somme, je t'ai à peine vu hier. Si tu avais eu le sang, comme tu serais venu déjeuner avec moi ce matin. Autrefois, tu n'y aurais pas manqué, maintenant c'est tout le contraire. Tu ne manques jamais de manquer, c'est lâche. Baise-moi et tais-toi.

Juliette

MVHP, Ms, a8160
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « ennuieux ».

[1] Juliette souffre d'une crise de goutte depuis quelques jours.

[2] À identifier.

Categories: Les projets

7

Wed, 30/03/2016 - 16:23

7 mars [1849], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon doux, mon bon et charmant bien-aimé, bonjour. Que la vie te soit aussi heureuse que glorieuse, c'est le vœu unique de mon cœur et de mon âme. Ainsi que je te le disais, hier, je me suis sentie très mal à mon aise après avoir dînéb. Je n'ai eu que le temps de me coucher. Un frisson à faire sauter mon lit, des douleurs très vives au cœur et un violent mal de tête. Ajoutéc à mes élancements de pieds, voilà tout le bénéfice que j'ai retiré de mon bain de pieds prolongé. Dans cet état de choses, ce que j'ai eu de mieux à faire ça [a] été de me coucher tout de suite et de cesser touted espèce de remèdes. Cela m'a assez bien réussi. J'ai dormi, et ce matin il ne me reste que le mal de tête et une grande sensibilité dans les pieds. Voilà, mon petit homme, où j'en suis de tous mes maux. Et puis je t'aime, et puis je te baise, et puis je t'adore.

Juliette

MVHP, MS a8157
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

b) « diner ».
c) « ajouter ».
d) « tout ».

7 mars [1849], mercredi matin, 11 h.

Je suis encore dans mon lit, mon cher bien-aimé, à mon grand déplaisir et à ma grande impatience car j'aimerais mieux aller et venir dans ma maison et me préparer à t'accompagner que de rester comme ceci paresseuse dans un lit dans lequel je m'ennuie horriblement. Quant à mes pieds, la grande chaleur qui s'y faisait sentir a disparua mais le moindre petit mouvement que je leur fais faire, mais la moindre pression d'un doigt sur l'autre m'arracherait presque des cris tant la sensibilité est vive [1]. Aussi, il ne faut pas que je songe à aller avec toi aujourd'hui mais j'espère que je serai plus coriace demain et que je pourrai te conduire à l'Assemblée et à l'Académie. Aujourd'hui je sacrifie la joie de mon cœur à la tranquillité de mes affreux pieds. Mais je ne me sentirais pas le courage de recommencer et de prolonger ce dévouement absurde plus longtemps. Il m'est resté de mon bain de pied d'hier un mal de tête abominable qui me fatigue et m'abrutit on ne peut pas davantage. Je crois que, si j'avais persisté plus longtemps dans mon trempage, que je m'en serais très mal trouvéea. Enfin me voilà corrigée, sinon GUÉRIE pour longtemps de l'envie de faire de la médecine de hasard. Ma désobéissance n'a pas eu un assez beau succès pour que je me risque une seconde fois dans les remèdes SECRETS. En voilà pour longtemps et même pour toujours car je ne veux plus rien faire à ma personne et de ma personne sans ton consentement. Pardonne-moi cette fois encore et aime-moi toujours et plus que jamais puisque mon bonheur et ma vie c'est d'être aimée de toi.

Juliette

MVHP, MS a8158
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « disparue ».
b) « trouvé ».

7 mars [1849], mercredi soir, 9.

Je ne veux pas me coucher, mon amour, sans t'avoir donné ma pensée et mon âme. Je veux que mon amour t'arrive dans une étoile du ciel et dans le souffle de l'air. Je t'aime mon Victor avec ce redoublement de sève et de passion que les fleurs ont pour le printemps et pour le soleil. Il me semble par moments que mon cœur monte jusqu'à mes lèvres et à mes yeux pour mieux te voir et pour mieux t'aspirer. Je suis toujours souffrante mais ce n'est plus des pieds. Dans ce moment, la douleur atroce, la douleur insupportable, c'est l'omoplate et le cœur.

MVHP, MS a9037
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

[1] Juliette souffre d'une crise de goutte depuis la veille.

Categories: Les projets

6

Wed, 30/03/2016 - 16:23

6 mars [1849], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon petit Toto, bonjour, toi que j'aime trop, bonjour, demandez-moi pardon de tout ce que vous m'avez dit de vilain hier et je vous donnerai des mouchoirs sans augmentation de prix sinon vous vous moucherez dans les feuilles de vigne à moins que vous ne préfériez le mouchoir prolétaire et démocratique du citoyen Pierre Leroux, lequel se mouche dans ses doigts, comme un simple homme et un grand socialiste qu'il est. Dites donc vous, je vous conseille de faire l'aristo et de défendre vos chameaux et vos dromadaires armoriés et caparaçonnés comme ceux de la Caravanea, opéra en cinq actes et en versSE [1]. Merci, si c'est ça que vous appelez des jolies femmes, il faut convenir que vous n'êtes pas difficile. Quant à moi, je les trouve hideuses, même pour des pauvres, et si j'étais homme je n'en voudrais pas pour rien. Il est vrai que je ne suis pas homme et que j'ai la coquetterie de n'être pas duchesse, je me contente d'être une ex Juju de la veille toute prête à tuer son Toto du lendemain. C'est comme cela que je comprends la république et que j'apprécie les beautés réac et mal fichues du Faubourg Saint-Germain.

Juliette

MVHP, MS a8156
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « Caravanne ».

6 mars [1849], mardi soir, 8 h. ¼

Mon cher bien aimé, les douleurs, c'est-à-dire les élancements m'ont repris de plus belle, il m'est impossible de rester les pieds plus longtemps dans l'eau [2]. Il est évident que ce qui t'a fait du bien m'est contraire. Dans ce moment, le dessus des pieds et le bas des jambes me sont très douloureux et je sens mon dîner qui me pèse. Je suis très mal à mon aise. Je vais me coucher en toute hâte et selon comme je me sentirai, je mettrai des cataplasmes. Pour le moment, il faut que je sorte mes pieds de l'eau. Je ne t'en écris pas davantage parce que je crois que ce serait imprudent. Je suis prèsa de suffoquer.

MVHP, MS a8157
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « prête ».

[1] Cette graphie fantaisiste sert à faire entendre la consonne finale, comme dans la langue d'Ancien Régime, celle des « aristos ». Probable allusion à La Caravane du Caire (1783), célèbre opéra de Grétry.

[2] Juliette présente tous les symptômes de la crise de goutte.

Categories: Les projets

5

Wed, 30/03/2016 - 16:23

5 mars [1849], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour mon cher petit homme, bonjour, dormez. Quant à moi, je n'ai que le temps bien juste de faire mes affaires pour être prête à 11 h. ½. Je suis sûre que ce sera en vain mais je n'en tiens pas moins à être prête exactement. À quelle heure êtes-vous rentré hier, mon petit homme ? Qu'est-ce qui vous a ramené ? Aviez-vous quelqu'un-E sur les genoux ? Enfin, avez-vous fait vos frais ? Vous me direz tout cela quand je vous verrai et si vous êtes en déficit je m'offre pour le combler. Voime, voime, vous ne vous souciez pas de toucher cet appoint et au besoin vous le laisseriez bien à la république pour sa FÂMILLE. Oh ! je vous connais, je sais de quel désintéressement vous faites profession dès qu'il s'agit de ma propriété nationale. Mais je ne la souffrirai pas. J'entends et je prétends que vous m'usiez jusqu'au dernier morceau. Je ne veux pas être en reste de générosité avec vous. Moins vous me voulez et plus je me donne à vous SANS RETOUR. Non, c'est comme cela, je ne pourrais pas m'en empêcher, ainsi, prenez-en votre parti et votre Juju et soyez heureux si vous pouvez. Je vous le souhaite et ne m'y opposerai pas.

MVHP, MS a8154
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

5 mars [1849], lundi soir, 6 h. ½

Cher adoré, je ne veux pas te laisser sous la mauvaise et stupide impression que je t'ai donnée de moi tantôt. Vois-tu, mon pauvre amour, il y a bien de l'amour encore dans ces espèces de folies furieuses qui me prennent de temps en temps. Tu ne sauras jamais avec quelle ardente et douloureuse impatience je t'attends tous les jours. Aussi, à un certain moment, ma raison s'en va avec mon courage et je deviens la proie de toutes les mauvaises pensées qui s'emparent de mon pauvre esprit. C'est à mon tour à te demander pardon de mon absurde mauvaise humeur de tantôt et c'est du fond du cœur et à deux genoux que je le fais. Je ne veux pas que tu te souviennes de ma ridicule colère si ce n'est pour me plaindre et pour m'aimer davantage car elle n'était que l'expression d'un amour, bien triste et bien malheureux dans ce moment-là. Mon Victor divin, je baise tes chers petits pieds, je t'adore.

Juliette

MVHP, MS a8155
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Categories: Les projets

4

Wed, 30/03/2016 - 16:23

4 mars [1849], dimanche après-midi, 2 h.

Mon Dieu est-ce que je ne te verrai pas aujourd'hui, mon cher petit homme ? Il me semble que tu devrais aller à ta réunion électorale à 1 h. et ce soir dîner chez le roi Jérôme [1] ? S'il en est ainsi, à quel moment te verrai-je ? Je ne m'en rends pas très bien compte, aussi suis-je très maussade et très impatiente, non contre toi, mon doux aimé, mais contre les cent millea obstacles qui se mettent entre moi et toi. Il y a des moments où je suis toute prête à jeter le manche après la cognée et la Juju après le guignon. Et [le ? Le ?] Boulet [2] est-il venu ? Avez-vous fait affaire ensemble ? Entre nous je crois que ce serait une chose assez difficile vu la trop grande nouveauté du susdit service. Il n'y a pas un très grand mal puisqu'on était à regretter chez toi les assiettes et les compotiers restauration, avec et sans calembourb. D'ailleurs je me charge de t'offrir le coromandel [3] aussitôt le tirage des 12 000 francs. En attendant, je voudrais bien tirer un peu d'amour et de bonheur de vous, ce qui n'est pas facile, je ne le sais que trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 35-36
Transcription d'Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « cent milles ».
b) « calembourg ».

4 mars [1849], dimanche soir, 10 h. ½

Je pense à toi, mon bien aimé, et je te désire de toutes mes forces tout en sachant que tu ne pourras pas venir ce soir. Je te remercie de ta bonne petite apparition. Ce n'était pas assez pour me rendre heureuse mais c'était suffisant pour m'empêcher d'être très malheureuse toute la soirée. Cela fait que j'ai pu jouir à mon aise et à tête reposée de la compagnie de l'aimable CÉLESTE [4] et de sa sœur. Si tu n'étais pas venu il est plus que probable que j'aurais très mal pris toutes ses gracieusetés et toutes ses platitudes. Grâce te soit renduea de ne m'avoir pas fait perdre une si belle occasion de m'ennuyer avec résignation et avec courage, merci, merci, Ô mon grand représentant, rien que pour cette belle action, je te donne ma voix en cœur et chœur aux prochaines élections [5]. En attendant, il paraît que nous aurons une gobloterie monstre très prochainement. J'ai prévenu Eugénie que tu comptais sur son génie inventif en cette occasion afin de susciter son émulation dans la composition de cette goinfrerie mirobolante. Quant à moi, je prête mon logis, mes assiettes… et le RESTE… à vous seulement, mais je ne me mêle pas du menu. J'ai bien assez de vous aimer en très gros.

Juliette

MVHP, MS a8153
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « rendu ».

[1] Vraisemblablement Jérôme Bonaparte.

[2] À identifier.

[3] Nom – qui rappelle celui de la côte orientale de l'Inde – donné par les Anglais à une laque chinoise créée au XVIIe siècle. Exportée de Chine vers l'Europe, elle était transportée dans des jonques chinoises sur les navires des ports indiens.

[4] Céleste Féau.

[5] Les 13-14 mai 1849 auront lieu les élections législatives.

Categories: Les projets

1

Wed, 30/03/2016 - 16:23

1er mars [1849], jeudi matin, 7 h. ½

Je t'écris, de mon lit, mon Toto bien aimé, dans lequel je suis encore. Bonjour, mon adoré, bonjour. Comment as-tu fait pour te tirer des Champs-Élysées [1] et de la tempête hier au soir ? À chaque coup de vent qui ébranlait la maison je pensais qu'il serait bien imprudent et bien dangereux pour toi de revenir seul de si loin et dans cette solitude. J'espère pourtant que, si tu n'as pas pris de voiture, il ne te sera rien arrivé. C'est de cette croyance que je tire la patience et le courage nécessaire pour attendre l'heure de te voir. À quelle heure es-tu rentré, mon cher petit homme ? As-tu trouvé un bon souper au moins ? J'y ai bien souvent pensé, va. D'autant plus que j'ai à peine dormi cette nuit à cause du vent, des cacaeux qui remplissaient…… l'exercice de leur fonction avec un bruit affreux et une odeur non moins affreuse. Je ne sais quellesa sont ces maisons et les gens qui les habitent mais je n'ai jamais rien senti de si fétide. Ajoute à cela une mauvaise disposition : des coliques et la migraine et tu verras que j'ai dû passer une nuit peu agréable. Ce matin je suis brisée par la courbature, cependant je serai prête à midi. Je ne veux pas manquer mon cher petit trajet. C'est aujourd'hui jour d'Académie. Où irai-je t'attendre dans les deux intervalles de l'Assemblée et de l'Académie à l'Assemblée ? Je crains qu'il n'y ait personne aujourd'hui chez Mme Sauvageot à cause de la vente des pauvres. D'un autre côté je suis si fatiguée et si mal en point que je ne sais pas comment je ferai pour rester sur mes jambes tout ce temps-là et à tous les vents ? Enfin je verrai quand j'y serai, le désir d'être avec toi un moment de plus me donnera des jambes et de la chaleur. En attendant, je me dorloteb un peu dans mon lit et je tâche de prendre une bonne provision de force et de courage. Dans une heure je me lèverai et peut-être qu'il n'y paraîtra plus. D'ici là je pense à toi, je t'aime et je voudrais savoir qu'il ne t'est rien arrivé hier au soir et que tu as bien soupé. Tu serais bien gentil si tu venais me le dire tout à l'heure mais je n'y compte pas, et d'ailleurs avant le plaisir de te voir, j'aime mieux que tu dormes et que tu te reposes bien.

Juliette

MLVH, 46-56LASVHR et V
Transcription de Gérard Pouchain

a) « quels ».
b) « dorlotte ».

1er mars [1849], jeudi soir, 8 h. ½

J'ai le cœur plein de toi, mon doux adoré, je ne pourrais pas me coucher sans t'avoir dit toutes les folles tendresses qui me passent par l'esprit. Ton sourire dilate mon amour comme les rayons du soleil font épanouir les fleurs. Dans ce moment mon âme ressemble à un bouquet dont ta pensée est le parfum. C'est bête comme tout ce que je te dis là [2] mais cela ne m'arrête pas. J'ai le délire de l'amour comme d'autres ont le délire de la fièvre. Seulement cette divagation, loin de m'être douloureuse, m'est on ne peut plus agréable et je cherche à la prolonger le plus longtemps que je peux. Je suis très fermement convaincue que je gagnerai les 13000 F. de Petit-Bourg [3]. Aussi dès demain je m'informe du prix de la lanterne et des deux encoignuresa. Je me réjouis d'avance de l'accueil que vous leur ferez. Du reste vous pouvez en jouir dès à présent car les portraits en sont très ressemblants et je ne vois même pas ce que ces trois choses natures pourront ajouter à votre bonheurb ? Enfin c'est égal je vous les donnerai comme je vous l'ai promis. Je n'ai qu'une parole et je vous le ferai bien voir dès que j'aurai palpé mes 13000 F. En attendant vous devriez bien me prêter cent sous pour avoir mon cornet. Comme cela je serai bien plus sûre de ne pas échapper mes 13000 F. Dans votre intérêt, bien entendu, vous devriez me prêter ces misérables cent sous. Allons Toto un peu de courage à la poche et la lanterne et les deux encoignuresa sont à vous plus ma reconnaissance.

Juliette

MLM, 34126
Transcription de Gérard Pouchain

a) « encognures ».
b) Juliette Drouet accompagne cette phrase de trois dessins représentant, sous trois angles différents, la lanterne magique. On y voit face à face un homme et une femme (Juliette Drouet et Victor Hugo ?)

« coll. privée / Musée des lettres et manuscrits, Paris. »

[1] « 28 février. – Toujours de petits symptômes révolutionnaires qui se produisent à travers le calme […]. Tout le quartier est en émoi. Des patrouilles d'un demi-bataillon parcourent les Champs-Élysées. » (Victor Hugo, « Carnet, Albums, journaux », CFL, t. VII, p. 1172.)

[2] Citation de Ruy Blas : phrase adressée par don César au laquais à l'acte IV.

[3] Petit-Bourg organise une loterie. C'est une colonie agricole et pénitentiaire accueillant les mineurs délinquants, fondée par Régis Allier à Évry en 1843, qui fonctionna jusqu'en 1858. En 1848, Hugo sera élu à l'unanimité membre de son Conseil d'Administration. Il en démissionnera par une lettre adressée à son directeur-fondateur, Allier, le 2 juin 1850, afin de préserver à la colonie l'aide gouvernementale mise en péril par sa présence devenue indésirable depuis qu'il siège dans l'opposition.

Categories: Les projets

31

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 31 décembre 1858, vendredi soir, 9 h. ¼

Cher adoré, je ferai pour toi ce que Mahomet faisait pour la montagne [1], j'irai en pensée et avec l'aide de mon âme jusqu'à tes pieds et je les baiserai. Amuse-toi, mon bien-aimé, sois heureux au milieu de la joie de tous les tiens ; profite de ce moment de douce et charmante détente de l'esprit et du corps entre la dernière étape de cette année qui finit et le premier relais de celle qui va commencer. Ne te refuse à aucun des petits bonheurs qui viendront s'offrir à toi, le rire sur les lèvres et les mains pleines de promesses et d'espérance ce soir. De mon côté, mon bien-aimé, j'écouterai au fond de mon cœur attendri chanter nos vingt-cinq anniversaires d'amour à genoux devant ton portrait et sous le regard calme et fixe de mon pauvre doux ange et puis je tâcherai de m'endormir en priant pour toi. Bonsoir, mon bien-aimé, sois heureux autant que je t'aime et que tout ce que tu désires en ce monde et dans l'autre te soit donné.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 364
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Blewer]

Guernesey, 31 décembre 1858, vendredi 10 h. ½ du m[atin]

Bonjour, mon pauvre cher bien-aimé, bonjour avec toutes les tendresses et tous les regrets de mon cœur. J'espère que tu auras passé une bonne nuit malgré la stupide algarade qui s'est produite entre nous et par ma faute, je le reconnais, hélas ! Du reste, mon pauvre ami, je crois que nous n'aurons pas besoin d'inventer de prétexte pour me dispenser du festival Marquand car je me suis plus que suffisamment enmédecinée pour ne pouvoir pas bouger de chez moi. Je sais bien que ce ne sera pas encore la solution pleine et entière de l'inconvénient que tu redoutes quant à ta maison, mais pour mon compte je serai je l'espère à l'abri de toute censure : si tu veux que le même cas ne se reproduise plus pour moi, il me sera facile de faire un petit travail sournois sur l'esprit des Marquand et des Préveraud pour leur ôter à l'avenir la pensée de m'inviter en même temps que toi, c'est-à-dire pas du tout. Cela ne me sera pas bien difficile et me sera moins désagréable que de savoir qu'on peut trouver mauvais cette marque accidentelle de sympathie et de cordialité. Je te le dis sans la moindre mauvaise humeur dans le désir bien ardent d'éviter le retour de choses pénibles entre toi [et] moi qui me deviennent de jour en jour plus odieuses et plus pénibles parce que je sens que je n'ai plus que le temps bien juste de t'aimer de toute mon âme.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 365
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

[1] Dans « Le Cèdre » (La Légende des siècles), poème récemment composé par Hugo et vraisemblablement recopié par Juliette, le scheik Omer fait déplacer un cèdre jusque sur une montagne, « au nom du Dieu vivant », pour couvrir saint Jean de son ombre.

Categories: Les projets

30

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 30 décembre 1858, jeudi, 10 h. du m[atin]

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour par le bec de ma plume puisque tu n'as plus le temps maintenant d'en recevoir bouche à bouche de toi à moi. J'espère que tu as passé une bonne nuit et que ton dîner ne t'aura pas incommodé. Quant à moi, je me suis bourrée ce matin, bien avant le jour, d'une horrible médecine que j'ai encore sur le cœur et que je voudrais sentir beaucoup plus loin. Quand je pense que j'en ai encore pour deux jours matin et soir, l'eau m'en vient à la bouche. Il va sans dire qu'après cette atroce tentative, je me tiendrai tranquille, laissant mon ventre et tout ce qui s'ensuit devenir ce qu'ils pourront. En attendant, je pourrai peut-être faire servir toute cette purgasserie à ne pas ALLER chez les Marquand mercredi prochain, à moins que tu n'en décides autrement. Voici ce qui arrive : Mme Marquand hier au soir, pendant que tu te baignais les yeux, m'a prise à part pour me demander si cela me contrarierait de me trouver avec les Duverdier et Guérin chez elle. Naturellement, j'ai dû répondre que non mais en réalité je voudrais éviter la rencontre sans m'attirer aucun désagrément si c'est possible. Voilà pourquoi je comptais me servir de la médecine pour rester chez moi. Si cela peut se faire, tu iras seul à ce dîner et moi je resterai de mon côté, plus que désappointée de perdre mon mercredi c'est-à-dire la [illis.] de te voir et de vivre avec toi.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 363
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

29

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 29 décembre 1858, mercredi, 9 h. du m[atin]

Bonjour, mon grand petit homme, bonjour trop bien aimé, bonjour. Comment avez-vous passé la nuit ? Bien, je l'espère ; nous nous sommes couchés au même moment, ce qui est peut-être cause que j'ai dormi comme une marmotte toute la nuit. Il y a longtemps que cela ne m'était arrivé. Aussi, j'en ressens un grand bonheur et un grand bien-être. J'espère que tu es dans le même cas, ce qui ne me laisse rien à désirer pour ce matin. Je viens de faire mes préparatifs pour mon petit ce soir. Cela me prend un peu de temps mais je reconnais qu'il est utile que j'aie cette petite distraction une fois par semaine, sans compter le dimanche qui n'est pas assez complet pour compter comme un jour. La ripaille ajoute beaucoup de charmes à ces petites réunions intimes où le cœur et l'esprit font cause commune avec le pain et le sel. Quant à moi, je ne connais rien de plus doux, après le bonheur étroit de l'amour pur, de ces petits dîners où l'on est heureux tout doucettement entre la côtelette et la poire, à preuve que je me réjouis d'avance de notre petit festival de ce soir. Je vais te dévorer à belles dents.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 362
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

28

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 28 décembre 1858, mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour et que tout soit pour toi à souhait aujourd'hui. Quant à moi, je ne sais pas ce que sera la journée mais je viens de passer une nuit enragée. Il est temps que la drogue du bon docteur vienne mettre ordre à tout ce désordre car je finirais par n'être plus possible à moi-même ni de nuit ni de jour. En attendant, je compte sur ma chère distraction pour me redonner du cœur au ventre. Tu ne te douterais pas que je parle avec ce sans façon du travail le plus attachant, le plus doux, le plus vénérable, le plus sérieux et le plus amusant : te COPIRE. Mais c'est que pour moi, ce n'est pas un travail ; c'est l'exercice le plus salutaire et le plus agréable, le plus fortifiant et le plus sain qui soit au monde. Aussi, je suis sûre que dès que je m'y mettrai tantôt je ne sentirai plus aucun de mes maux, mais rien que le plaisir d'admirer toute ta sublime et adorable poésie. Aussi, je vais M'EPECHER, M'EPECHER, M'EPECHER d'y arriver le plus tôt possible. J'espère que tu as passé une bonne nuit, mon cher petit homme et que je te verrai tout à l'heure. Jusque-là, je te baise de l'âme.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 361
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

27

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 27 décembre 1858, lundi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour à Franc étrier de restitus car il faut que j'installe aujourd'hui une COPIRE sérieuse et suivie, ce que je n'ai guère pu faire jusqu'à présent, quel que soit le bonheur que j'éprouve à faire ce doux et charmant travail [1]. Je n'ai pas vu, sans un vif sentiment de regret, et presque de jalousie, la besogne partagée entre ta femme et moi, mais, outre que je m'effacerai toujours devant son DROIT, je me soumettrai toujours aussi à la nécessité de ne pas entraver ou retarder tes glorieux travaux d'une minute. Donc, mon cher adoré, le désir de ta femme étant donné et mon incapacité de plus en plus évidente se combinant avec les jours courts, je crois qu'il vaut mieux que tu profites de toutes les offres de service qu'on te fait pour être prêt comme tu le désires pour le mois de février prochain [2]. Quant à moi, je vais m'ya mettre avec toute l'ardeur de mon cœur absolument comme si j'avais la certitude de pouvoir tout faire à moi seule. Pour cela, je me hâte de t'embrasser depuis la tête jusqu'aux pieds. Juliette

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 360
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

[1] Hugo a achevé « le Petit Roi de Galice » le 20 décembre et « Gaifer-Jorge, duc d'Aquitaine » le 25 décembre 1858.

[2] La parution de la Première Série de la Légende des siècles est prévue pour février 1859.

Categories: Les projets

26

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 26 décembre 1858, dimanche matin, 10 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je ne dis pas tout SEC car par ce temps de déluge, il serait difficile de mettre même un simple BONJOUR à l'abri de toute humidité. Bonjour, donc, le plus TENDREMENT que je peux, mon cher bien-aimé, bonjour et tâche de bien te garantir contre cet horrible temps. J'espère que tu as passé une bonne nuit et que ton mal de gorge n'a pas reparu. Quant à moi, je suis très patraque et je passe mon temps à éponger l'eau qui inonde mon lucout justement dans le coin des livres. J'ai mis des pots sous les principales fuites et des draps sales sur le plancher mais tout cela ne servira pas à grand-chose pour peu que cette pluie continue encore longtemps. Lundi, j'irai chez Mme Allez à laquelle je dois une visite pour celle qu'elle m'a faite il y a huit jours, et je lui demanderai de faire boucher les tuiles tout de suite par son maçon. En attendant cela me contrarie extrêmement, sans compter que je crains que cela ne passe à travers le plancher jusque dans les tentures. Enfin il faut prendre son mal en patience et l'eau du bon Dieu par-dessus le marché. J'espère que tout est bien calfeutré chez toi et que tu n'auras aucune avarie à déplorera. Veille à ta santé, mon cher petit homme et aime-moi un peu et fichons-nous du RESTE.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 359
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « déploré ».

Categories: Les projets

25

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 25 décembre 1858, samedi, 9 h. du matin

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour mon grand adoré, bonjour. Je cherche, mon cher petit homme, ce que je peux ajouter après ce BONJOUR qui contient tout mon cœur et toute mon âme et je ne trouve rien qui vaille la peine d'être écrit, ni dit, ni même chanté. J'ai beau stimuler ma stupidité du bout de ma plume, elle reste dans son trou et n'en veut pas sortir, même pour te montrer le bout de ses cornes. Il fait un temps peu propice aux RENCONTRES et je crois que tu seras forcé pour voir ta my dear de lui donner rendez-vous autre part que sous la gouttière. Ceci n'est pas une épigramme barbelée que je te décoche mais un conseil hygiénique à votre adresse respective à toi et à elle. Quant à moi, je profite du privilège de la saison et de mon grand âge pour rester au coin de mon feu à rabâcher mon éternel amour. Cela n'est pas fringuant et encore moins romanesque, mais c'est plus ACTUEL et plus sain, sans T, santé sans thé et je m'en contente. Quand te verrai-je mon bien-aimé ? Et quand saurai-je comment tu as passé la nuit ? Je t'attends et je t'aime.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 358
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

24

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 24 décembre 1858, vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour et joie pour la bonne nouvelle [1] d'hier. Nous voilà délivré de cette rechute Damoclès suspendue sur la tête, et tu pourras arranger tes flûtesa à ton aise le moment venu de te donner, ainsi qu'à nous tous, un peu de bon temps et de beau temps dans la patrie des oranges et des Don Miguel. En attendant, tu feras bien pourtant de te ménager un peu et de surveiller beaucoup ton régime. Je crains que tu n'aies été saucé hier en allant et en revenant de chez Duverdier, ce qui te serait particulièrement nuisible. J'espère qu'il fera beau aujourd'hui, ce qui te permettra d'aller à la rencontre de ton Albionne sans risquer de nouveaux clous. Quant à moi, je suis résolue, en tout état de chose, et quelles que soient les grimaces du baromètre, à me passer un bain à travers le corps. À force d'ajourner ce lavage, j'en suis venue à ne pouvoir plus attendre une minute de plus. Ainsi, de deux à trois heures, j'irai me tremper, vous voilà averti. Quant à votre goddam, je ne vous en dis pas davantage, mais méfiez-vous de la french lady qui vous regarde et qui laisse pousser ses griffes AD HOC [2].

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 357
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « fluttes ».

[1] Hugo note cette nouvelle dans son agenda à cette même date : « selon lui l'anthrax peut revenir, mais n'est pas plus probable pour moi que pour tout autre. Terrier le croit moins probable, et dit qu'il y a cent contre un qu'il ne reviendra pas ». (CFL, t. X, Agendas, p. 1463).

[2] Juliette est jalouse de Mme Duverdier.

Categories: Les projets

23

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 23 décembre 1858, jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, du plus profond de mon cœur et de mon âme. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre grand bien-aimé ? Je crains que cette atmosphère de stupidité et ces vapeurs rances de tabac et d'ivrognerie chronique ne t'aient bien fatigué, bien agacé et bien dégoûté hier. Je jure que c'est bien la dernière fois que je t'aurai soumis à cette pénible corvée. Dorénavant, je m'en tiendrai à notre petit groupe intime ; lequel, sans être bien fort, est au moins propre, pacifique et discret. Je crains que toutes les sottises, toutes les criailleries hébétées et inconvenantes de ces quelques citoyens socialistes, mais pas sociables, ne t'aient bien choqué et bien mécontenté, mon cher bien-aimé ? Ça a beau n'être pas de ma faute, j'en suis humiliée et honteuse comme si j'y avais moi-même pris part. Enfin c'est la dernière fois que je t'expose à ce supplice niais et nauséabond. Pardonne-moi encore pour cette fois-ci et ne m'en aime pas moins si tu peux. Cher adoré, j'attends avec anxiété ta visite au docteur Hoskins pour savoir son opinion au sujet de l'urgence immédiate de ton voyage ; lequel paraît devoir entraîner pour ta maison et pour ta famille bien des ennuis compliqués et sérieux. Mais pour les éviter, il ne faudrait pas risquer une rechute l'été prochain. Aussi, mon adoré bien-aimé, il faut bien t'assurer que les craintes de Laussedat n'ont aucun fondement avant de renoncer à ton voyage quelque difficile et quelque onéreux qu'il te paraisse.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 355
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

22

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 22 décembre 1858, mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Je serai bien contente si tu as passé une bonne nuit et bien heureuse si tout ce que tu souhaitesa et tout ce que tu désires t'arrive aujourd'hui pour l'à-propos en l'honneur de ta petite fête rétrospective. J'espère que rien ne viendra troublerb ce pauvre petit moment de gaîté que nous nous permettons aujourd'hui et que nous avons chèrement payé d'avance par nos angoisses passées. En attendant, voici le fameux Rubicon de l'hiver et des jours courts, le 21 passé ! Maintenant nous ne pouvons que gagner tous les jours un peu de lumière et de soleil. Ce qui ne m'empêche pas de désirer que tu hâtes ton voyage le plus possible afin d'ôter tout prétexte à la maladie de revenir, comme on paraît le craindre. Aussi, mon adoré, toute considération humaine et toute affaire cessante, autre que le soin de ta santé, devraient être oubliées et ajournées jusqu'aprèsc ton retour de Lisbonne. Si j'avais voix au chapitre et de l'influence sur toi, je les emploierais à presser ton départ plutôt aujourd'hui que demain, plutôt ce matin que ce soir. Mais vous ne relevez que de vous-même, monseigneur, et vous vous fichez de tout ce qu'on peut penser et dire en dehors de votre opinion et de votre volonté, ce qui fait que mes bons conseils ou rien, c'est la même chose. Taisez-vous.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 355
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « tu souhaite ».
b) « troublé ».
c) « jusqu'à près ».

Categories: Les projets

21

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 21 décembre 1858, mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour à toi et à tous ceux que tu aimes, bonjour. Je ne sais pas si tu as bien dormi cette nuit mais pour moi cela ne vaudra bientôt plus la peine de me coucher. Aussi, je suis dans un état hideux ce matin. Je compte me secouer vivement tout à l'heure pour faire diversion à ma mauvaise nuit, mais auparavant je me prépare au bonheur de te voir en te gribouillant mon petit bonjour dominical. J'ai guetté hier le moment où tu serais dans ton lucout pour faire coïncider mon coucher avec le tien mais il était onze heures sonnées que tu n'étais pas encore monté. Ce que voyant, je me suis couchée toute SEULE et je n'en n'ai pas mieux dormi pour cela. Ce matin, il fait un temps de chien et tu feras bien de ne te lever juste que pour le déjeuner. Tu feras bien de donner suite aux informations que tu veux rendre pour les formalités indispensables pour ton passeport car quinze jours et même un mois seront bien vite écoulés avec tout ce que tu as à faire. Quant à moi, j'aurai aussi quelques préparations indispensables à toutouner avant de me mettre en route. Sans compter mes arrangements avec Suzanne. Je te fais souvenir de cela pour que nous ne soyons pas trop ahuris le moment venu et puis je t'aime de pied en cape.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 354
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Categories: Les projets

20

Tue, 22/03/2016 - 12:11

Guernesey, 20 décembre 1858, lundi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour le cœur de mon cœur, l'âme de mon âme, bonjour. J'ÉLÈVE MES REGARDS VERS ton lucout dans l'espoir de saisir ta chère petite silhouette à travers tes vitres mais jusqu'à présent, rien n'a encore paru. Peut-être es-tu déjà descendu car le départ de Vacquerie approche et dans deux ou trois heures, il sera probablement parti [1]. Pour moi, je ne peux pas m'empêcher de regretter ce départ qui paraît pourtant accommoder tout le monde chez toi. Mais c'est surtout en fait d'ami qu'est applicable le proverbe : ON SAIT CE QU'ON PERD, ON NE SAIT PAS CE QU'ON TROUVE. Il est vrai que Vacquerie n'est pas perdu pour vous et qu'il vous reviendra un jour ou l'autre, mais d'ici là bien des choses peuvent se mettre entre lui et vous. Je te demande pardon de m'immiscer dans vos petites affaires mais cette indiscrétion ne vient que d'un excès de sollicitude pour tout ce qui te regarde, toi et ta chère famille. J'espère que cette petite agitation de ce départ et la tempête de cette nuit, ne t'auront pas empêché de dormir et que tu n'es pas trop fatigué ce matin. Je t'attends pour savoir de tes nouvelles, mon cher bien-aimé, en t'aimant de toutes mes forces. Tâche de venir un moment si tu peux avant le déjeuner. Dans tous les cas, pense à moi, mon cher adoré et aime-moi dans un petit coin de ton cœur. Cela suffira pour faire le bonheur de toute ma vie.

Bnf, Mss, NAF 16379, f. 353
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

[1] Hugo note dans son agenda à cette date : « Auguste est parti aujourd'hui à midi ½ pour Paris par le Weymouth. Il passera par Jersey. » (CFL, t. X, Agendas, p. 1462).

Categories: Les projets