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BnF, Mss, NAF 16322, f. 121-122

Juliette Drouet - Fri, 04/03/2016 - 16:00

Vendredi, 3 h. du matin
Litt. et . mêlées fin mars [18]34a [1]
[Après le 19 mars 1834]

Mon bon Victor – mon bien-aimé – je pense qu'il ne t'a pas été possible de venir ce soir – Je suis triste mais résignée – j'espère que tu viendras le plus tôt que tu pourras – et cela me console un peu – Ajoute que dans ma solitude, j'ai déjà dévoré une partie du 1er volume, que je vais le continuer tout le reste de la nuit, ça fait que je ne t'aurai presque pas quitté –
Si je pouvais t'admirer comme tu le mérites – je t'écrirais toutes sortes de belles choses sur ton livre mais j'aime mieux t'aimer – ça m'est plus facile – Aussi je m'en acquitte mieux que tousb les amis et admirateurs réunis – Je t'aime aussi parce que tu m'aimes – Je t'aime pour toutes les raisons à la fois – et puis je t'aime encore pour une seule et c'est la meilleure.
JE T'AIME.

Juliette

[Adresse]
Pr mon grand et bien-aimé Victor

BnF, Mss, NAF 16322, f. 121-122
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette

a) Date rajoutée sur le manuscrit d'une main différente de celle de Juliette.
b) « tout ».

[1] Littérature et philosophie mêlées paraît le mercredi 19 mars 1834 chez Renduel en deux volumes. La date de l'ouvrage explique la datation « fin mars 34 » rajoutée sur le manuscrit. Cette lettre a donc été écrite après le 19 mars 1834.

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BnF, Mss, NAF 16322, f. 119-120

Juliette Drouet - Fri, 04/03/2016 - 16:00

[illis.] h. du matin
début [18]34a

Je suis bien fâchée de n'avoir pas suivib ma première idée qui était d'aller chez toi, savoir si ton frère ou ton beau-père étaient plus malades. Au moins à l'heure qu'il est seraisc-je moins tourmentée – La vie me tourmente autant que l'imagination – Mon Dieu, je voudrais pour tout au monde qu'il ne te soit rien arrivé de malheureux – et que ce soient les seules soumissions et génuflexions d'Harel qui t'aient retenud loin de moi. Il y a pour moi une seule chose plus insupportable que ton absence, c'est la pensée de te savoir malheureux ou souffrant. Je suis bien à plaindre, dans ce moment. Je ne sais pas comment je vais passer la nuit – Si j'osais, j'irais chez toi… mais…e
Mon Dieu ! que je suis donc malheureuse.

Juliette

[Adresse]
Seconde lettre

BnF, Mss, NAF 16322, f. 119-120
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette

a) Date rajoutée sur le manuscrit d'une main différente de celle de Juliette.
b) « suivie ».
c) « serai ».
d) « retenus ».
e) Des points, terminés par un trait, courent jusqu'au bout de la ligne.

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BnF, Mss, NAF 16322, f. 117-118

Juliette Drouet - Fri, 04/03/2016 - 16:00

Février [18]34a

Le malheur ne m'a pas rendu ingrate envers vous – Le malheur ne m'avait rien enlevé de mon amour – Hier encore, je croyais à la durée de notre liaison – Aujourd'hui, la confiance a disparu – Je cède à une force cachée mais impérieuse – Je persiste dans une désespérante résolution – Pour ne pas céder aux impulsions de mon cœur – je confirme les sentiments qui ébranlent ma résolution – Oh, Victor, avez-vous jamais cru à mon amour, à mes chagrins – N'auriez-vous pas plus de confiance et d'estime – Vous auriez compris que lorsqu'il y a cinq mois [1], j'ai si profondément blessé votre âme – j'avais longtemps souffert, longtemps combattu – Vous savez si depuis mon respect, mon amour, ma résignation se sont démentis – Si j'ai résistéb avec courage à la nécessité chaque jour plus pressante – si j'ai reculéc devant un sacrifice qui doit laisser dans mon avenir une trace cruelle et ineffaçable – Rien de tout cela n'a pu trouver grâce à vos yeux – Je suis encore pour vous aujourd'hui ce que j'étais pour tout le monde il y a un an – Une femme que le besoin peut jeter dans les bras du premier riche qui veut l'acheter – Ce sont là les causes dures et irrésistibles de notre séparation – Voilà ce que je ne peux plus supporter – Je ne vous parle pas des autres causes déterminantes qui pour être secondaires n'en sont pas moins réelles – La jalousie de votre femme – les [charges ?] qui pèsent sur vous. Il faut que vous soyez libre et calme dans cette lutte de devoir et de travail – Moi, je ne vous affligerai jamais – du moins volontairement –
Adieu, bon Victor – Le cœur est brisé – Oh ! que votre peine s'adoucirait si vous pouviez lire dans ce cœur qui est à vous pour la vie – Un dernier baiser.

Juliette

[Adresse]
Pr toi

BnF, Mss, NAF 16322, f. 117-118
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) Date rajoutée sur le manuscrit d'une main différente de celle de Juliette.
b) « résistée ».
c) « reculée ».

[1] Juliette fait référence à un événement de septembre ou octobre 1833. Plusieurs hypothèses s'offrent à nous : 1) À notre connaissance, en octobre 1833, Juliette brûla les lettres que Victor Hugo lui avait écrites durant six mois. Ce geste blessa profondément le poète. Il se peut que Juliette évoque cela. 2) Il se peut également qu'elle évoque une violente dispute dont nous n'avons pas de trace. 3) Ou bien s'agit-il d'une infidélité ?

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31

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 31 octobre 1858, dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour ; mon grand bien-aimé ; bonjour à tes quatre points cardinaux : ton corps, ton esprit, ton cœur et ton âme.
J'espère que tu as passé une good nuit et que tu es very pretty gaillard ce matin ? C'est avec cette douce espérance que je commence ma journée joyeusement aujourd'hui. Cher adoré, il faut que je te remercie de ta bonne et généreuse attention d'hier car il est impossible d'avoir mis plus de grâce à satisfaire une envie que tu partageais toi-même. Malheureusement, il n'y avait pas moyen RAISONNABLEMENT d'aller jusqu'au bout de ta galanterie, mais je n'en suis pas moins heureuse ni moins reconnaissante de ta bonne intention et la possession de l'objet désiré n'ajouterait rien à mon amour. D'ailleurs, j'ai un fameux rabibochage à prendre dans vos dessins aujourd'hui car je ne vous ferai pas crédit plus longtemps, c'est déjà bien imprudent à moi d'avoir livré mon Saint-Esprit de confiance depuis trois jours. Tantôt je vous prendrai au collet, comme un lapin et il faudra bien que vous me dégoisiez mon dessin. En attendant, les pleurs et les gémissements de ce pauvre Springa m'arrivent et me font pitié. Pauvre bonne bête ! Quel mal a-t-il donc fait dans sa vie antérieure pour être si cruellement malmené dans celle-ci ? That is the question ? À laquelle je ne me charge pas de répondre. Je vous aime trop et bien assez.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 308
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « Sprim ».

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30

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 30 octobre 1858, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour, je t'aime et je me porte bien… si vous êtes en bonne santé vous-même ce matin ? Comment vas-tu, mon cher bien-aimé ? La lecture [1] d'hier ne t'a pas fatiguéa ? J'espère que non car ta voix ne paraissait pas voilée ni enrouée après cette triomphante lecture. Quels hommes ! Quels arbres [2] ! Quelle nature et quels vers !!! On se sent soi-même plus grand que nature en écoutant cette pensée démesurée… Sans calembourb. Quant à moi, mon pauvre esprit redescend en tremblant et à reculons les sommets sublimes où ton génie le transporte et c'est à peine, quand il a repris terre, s'il ose tourner son admiration du côté de ces choses surhumaines, admirables et éblouissantes que tu crées comme Dieu créa la terre et le ciel en disant : que cela soit ! et cela fut. Il est probable que je te dis mon admiration en stupidités monstrueuses, mais ma foi tant pire, on n'est pas forcé d'avoir la hauteur des pyramides ou du Mont Blanc parce qu'on les admire et qu'on a grimpé dessus. À ce compte-là, il y a bien peu de gens qui pourraient se croire le droit de crier : Dieu ! Que c'est grand ! Dieu que c'est beau ! Pour moi j'en prends la permission sous mon bonnet et dans mon cœur et je gueule de toute mon âme ! Dieu ! que je t'aime !

Bnf, Mss, NAF16379, f. 307
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguée ».
b) « calembourg ».

[1] Hugo note à la date du 31 « lu à ma famille St Jean et Kanut », (CFL, t. X, Agendas, p. 1459).

[2] Le poème de la Légende des siècles « Le Cèdre » a saint Jean pour héros.

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29

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 29 octobre 1858, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, à tout crin et à tout vent ; à tout cœur et à toute âme. Il fait un froid de loup et je vous conseille de carguer toutes vos voiles et de rester bien blotti sous vos couvertures ce matin, surtout si vous êtes encore souffrant et si vous êtes allé chez les Duverdier hier. Quant à moi, qui me suis couchée à neuf heures et demie, je ne pouvais pas me tirer du lit à sept heures tant je m'y trouvais bien. Vous voyez qu'il ne me serait pas difficile de faire la paresseuse si je voulais. Mais je ne le veux pas, ne fût-cea que pour faire enrager le citoyen Quesnard, le démocrate marmotte de la proscription.
Cher bien-aimé, tout cela ne me dit pas comment tu vas ce matin et c'est pourtant ce que je désire le plus savoir, car je crains que cette recrudescence de froid ne te soit contraire. Pauvre adoré, voici le moment de bien veiller sur toi et de prendre toutes les précautions possibles pour empêcher le retour des affreux accidents dont tu as été victime toute l'année. Ainsi, toujours de bonnes chaussures, du bon feu où tu travailles et le moins de promenades possibles à la pluie et au brouillard. Ce sont des conditions indispensables pour te garder en bonne santé, mon cher petit homme, et tu serais bien coupable d'en négliger aucune. Quant à moi, je ne te laisserai pas tranquille chaque fois que je m'apercevrai de ta négligence. À ce sujet, tu vois déjà par ce rabâchage quotidien combien c'est peu amusant. Que sera-ce donc pour toi quand il sera permanent dans ma bouche ? Le seul moyen de le faire cesser et de me faire taire ce sera de bien te dorloterb et de bien te mijoterc le jour et la nuit. Quant au RESTE, nous verrons plus tard quel parti on peut encore en tirer. Mais le plus pressé pour moi c'est ta santé [plusieurs mots complètement illisibles]. Je t'aime.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 305
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».
b) « dorlotter ».
c) « mijotteré ».

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27

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 27 octobre 1858, mercredi matin, 8 h.

Merci, mon pauvre bien-aimé, je t'aime, voilà l'état de ma santé de cœur, d'esprit et de corps ce matin. Mais, toi, mon pauvre martyr, comment as-tu passé la nuit ? Je n'ose pas y penser tant j'ai peur que tu n'aies beaucoup souffert de toutes les parties sensibles de ton être physiquea et moral ? Et quand je pense que c'est moi qui t'ai fait tout ce mal par la faute de mon caractère indomptable, je suis tentée de m'enfuir au-delà de la vie pour te délivrer une bonne fois de mon amour tourmenteur et bourreau. Ce n'est pas la première fois que cette tentation me vient et je n'y résiste que par la crainte de te causer une sorte de remords injuste qui attristerait ta vie peut-être encore plus que je ne le fais moi-même en ce monde. Pauvre adoré, quel supplice tu t'imposes par bonté, par générosité, par un devoir mal compris de ce que tu ne dois pas à une créature qui n'a jamais su te rendre heureux, qui ne le saura jamais malgré l'amour sans borne qu'elle a pour toi. Cependant, mon pauvre bien-aimé, je vais encore essayer de te rendre moins malheureux et j'y emploierai tout mon cœur et toute mon âme et pour commencer tout de suite, je te souris, je t'aime et je te bénis.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 303
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « phisique ».

Guernesey, 27 octobre 1858, mercredi matin, 8 h. ½

Tu désires savoir ce que mon cœur te disait hier matin à cette heure-ci, mon cher bien-aimé ? Il ne me sera pas difficile de te le dire et je pourrais même faire remonter ma mnémoniquea jusqu'au premier moment où je t'ai vu, jour par jour, heure par heure, minute par minute sans crainte de me tromper. Depuis le moment suprême où je me suis donnéeb à toi pour la première fois, je n'ai eu qu'une pensée : t'aimer, qu'un mot : je t'aime, qu'un besoin : de te le dire sous toutes les formes et sous tous les prétextes. Tu vois donc bien, mon cher adoré, qu'il ne m'est pas difficile de te rendre fidèlement et le plus sic possible la teneur de la restitus d'hier [1]. Je peux être, et je le suis, hélas ! trop souvent pour ton bonheur, absurde, violente, méchante, et insensée sans cesser de t'aimer de toutes mes forces et de toute mon âme. C'est profondément vrai et profondément triste et j'en suis réduite souvent, par mon désespoir de te rendre malheureux, à désirer de t'aimer moins si le sacrifice de mon amour pouvait te donner la paix et le bonheur dont tu as tant besoin. Mon Victor bien-aimé, pense de ton côté au moyen de te rendre heureux et quel qu'il soit, j'y souscris d'avance car j'ai encore plus besoin de ton bonheur que de mon amour ou de ma vie, ce qui est la même chose.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 304
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « mnémonyque ».
b) « donné ».

[1] Il n'y a pas de lettre conservée pour le jour précédent.

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25

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 25 octobre 1858, lundi soir, 8 h.

Je suis triste, mon bien-aimé, de la pensée de mon injustice envers toi et je ne sais comment t'en demander pardon et surtout comment te faire oublier ce mouvement d'impatience dont je n'ai pas pu être maîtresse… Mais te voilà et la difficulté va cesser de moitié car un bon baiser donné du fond de mon âme sera plus éloquent pour exprimer mon regret et pour obtenir mon pardon que toutes les pattes de mouches du monde, quelquea barbouillées d'encre qu'elles soient. Je vois que tu es encore souffrant ce soir, mon pauvre petit homme, ce qui redouble en moi le remords de t'avoir tourmenté si follement. Pauvre, pauvre cher adoré, je suis bien punie pour où j'ai péché et je suis peut-être encore plus à plaindre qu'à blâmer. En attendant que tu me pardonnesb dans ton cœur comme tu m'as déjà pardonné de la bouche, je te prie de ne pas me donner un éloge qui ressemble presque à de l'ironie, mon caractère étant malheureusement donné. Je t'aime, mon Victor, et n'ai aucun mérite à me dévouer à toi qui es ma vie, ma joie, ma lumière et mon bonheur. Mais j'ai le plus grand tort de gâter mon amour par des emportements injustes et odieux. Pardonne-moi et aime moi toujours si tu peux.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 302
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « quelques ».
b) « pardonne ».

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24

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 24 octobre 1858, dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour, beau jour, bonheur pour toi, voilà mon souhait ce matin et j'espère que Dieu le réalisera tout entier. Je viens de faire une nouvelle combinaison de table pour qu'elle tienne moins de place. Je ne sais pas si j'y serai parvenue, il est difficile de concilier à la fois les besoins domestiques, l'étude et le décorum dans une seule chambre pas très grande. Aussi, j'ai beau m'ingénier, la chambre à coucher, le salon et le CABINET se brouillent et se cognent à qui mieux mieux et j'ai toutes les peines du monde à me tirer de ce tohu-bohu. Heureusement que j'ai du temps à donner à tout ce remue-ménage perpétuel car sans cela, il n'y aurait aucun moyen de s'y reconnaître. Il en est encore pire de mes gribouillis et je doute que tu puissesa y rien comprendre, pas plus pour les mots que pour le sens ; moi-même je ne me reconnais plus dans ce fouillis de pattes de mouches enchevêtrées l'une dans l'autre d'une façon inextricable et inintelligible. Le seul mot pour lequel je voudrais avoir une BELLE MAIN, tu le sais par cœur, mon cher petit homme, et je ne t'apprends rien en l'écrivant : je t'aime, je t'aime, je t'aime et je te défie de me prouver le contraire.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 301
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « puisse ».

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23

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:51

Guernesey, 23 octobre 1858, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme bien-aimé, bonjour, je t'aime de pied en QUATRE, comme dit Suzarde. J'espère que tu as bien dormi et que ta jambe n'est pas plus endolorie qu'elle ne l'était hier au soir ? Du reste, nous avons joliment bien fait d'aller chez la femme aux mireux [1] hier, pendant qu'il faisait beau, car voilà le temps gâté aujourd'hui et pour toute la journée, j'en ai peur. Cela te donnera le temps de chercher de la COPIRE pour moi, ce dont je serai très contente. En attendant, je continue ma petite installation d'hiver. Peut-être lundi irai-je prendre un bain. Si le cœur te disait d'en faire autant, nous pourrions y aller et revenir ensemble. Le premier PARÉattendrait l'autre ; est-ce dit ? Je penserai à te le demander tantôt et le jour venu je t'en parlerai et nous conviendrons de nos heures, ce qui ne vous empêchera pas, chemin faisant, d'espérer vos razzias sur tous les bric-à-braca que vous rencontrerez sans m'en donner un petit morceau comme vous avez toujours fait jusqu'ici. Mais, soyez tranquille, quand je serai riche, je vous en ferai passer sous le nez de plus beaux et de plus tarabiscotés que les vôtres. Jusque-là, je vous laisse triompher pas à bon marché, et j'attends mon tour.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 300
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « bric-à-bracs ».

[1] Mireux : miroir, en guernesiais.

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22

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 22 octobre 1858, vendredi, 8 h. du m[atin]

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon bon petit homme, bonjour. Comment as-tu passé la nuit ? Meilleure que l'autre, j'espère ? Et ta jambe, comment va-t-elle ce matin ? Est-elle tout à fait calmée et dégagée ? Je n'ose pas l'espérer parce que je crois que c'est une affaire de temps. Heureusement, cela ne t'empêche pas de marcher et surtout d'être bien bon et bien adorable là où tout le monde serait mauvais et irascible. Va, je sens bien tout ce que tu répandsa de bontés, de douceur, d'indulgence, de patience, et de générosité autour de toi et sur moi en particulier. Je ne saurais pas t'en remercier mais je t'en aime jusque dans le plus profond de mon âme. Aussi, ce ne sont plus des caresses que je te fais maintenant, ce sont des actions de grâce que je te rends et des hymnes d'admiration et d'adoration que mon âme chante religieusement au fond de moi-même. Mon Victor bien-aimé, je te bénis. Il fait encore bien beau ce matin, le vent excepté, quoique tu l'aimes beaucoup comme effet pittoresque, mais que je redoute comme réfrigérant et comme irritant. Cependant, j'espère qu'il ne nous empêchera pas d'aller à la chasse aux MIREUX [1] tantôt. Il est vrai que vous n'en êtesb plus très pressé maintenant que vous en avez tout votre SOU et qu'il vous faudrait partager avec moi.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 298
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « répand ».
b) « n'en n'êtes ».

Guernesey, 22 octobre 1858, vendredi, 8 h. ½ du m[atin]

Je disais donc que vous ne me paraissiez pas très pressé de courir aux mireux [2] avec moi, mon cher petit accapareur, mais plutôt que de vous laisser échapper une bonne occasion, si c'en est une, ce que je ne sais pas, je vous y laisserai aller tout seul et je vous donnerai l'adresse de la bonne femme tantôt. En attendant, il manque seize sous sur l'argent que j'avais emporté hier. Il est probable que tu les auras pris sans t'en apercevoir hier parmi tous ces mélis-mélos de comptes et d'argents chez Ozanne. Du reste, il te sera peut-être possible de t'en rendre compte si tu savais ce que tu avais dans ta bourse. Dans tous les cas, je supporterai ma perte stoïquement, c'est ce que j'aurai de mieux à faire. Je ne sais pas si tu penseras aujourd'hui à me donner de la nouvelle COPIRE mais moi je te ferai souvenir que tu as à écrire à Jules Simon. En attendant, je te gribouille mes tendresses sous un vent qui ne me laisse pas une minute de repos. Je me hâte de te baiser entre deux bourrasques.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 299
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

[1] Mireux : Miroir, en guernesiais.

[2] Mireux : miroir, en guernesiais.

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20

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 20 octobre 1858, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Dieu visible ; bonjour, mon rayon ; bonjour, ma joie ; bonjour, mon amour ; bonjour, mon bonheur ; bonjour. Je ne sais pas si tu persisteras dans ton projet de promenade tantôt et si le temps lui-même persistera dans son vent bourru et son ciel quasi grognon ; mais dans tous les cas, je serai trop heureuse de faire ce que tu voudras. Je vais tout à l'heure préparer mes clics et mes clacs à tout événement. De ton côté, tu n'as pas de temps à perdre pour avertir Grut et la voiture, voire même Quesnard si tu tiens à l'emmener avec nous. Dans tous les cas, mon cher petit homme, je te recommande de bien te rendre compte avant de l'état général et en particulier de ta santé et de celui du ciel qui me paraît assez suspect. Quant à moi, je tâcherai de mettre mes rhumatismes à la hauteur de ton courage et de ta confiance. Tant pis pour eux s'ils sont assez lâches pour se laisser vaincre par le baromètre. En attendant, j'ai le plaisir de tricoter mes pattes de mouches avec les vôtres et de mêler ma prose à votre poésie, ce qui est encore plus hardi que de risquer une promenade équinoxiale au bord de la mer le 20 octobre ! Sur ce permettez que je vous baise ex abrupto !

Bnf, Mss, NAF16379, f. 297
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

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19

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 19 octobre 1858, mardi matin, 7 h.

Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour, comment va la colique ? J'ai peur que ce mauvais temps ne l'ait augmentéea, loin de la diminuer. Du reste, il est facile de te faire de l'eau de riz, et si tu ne veux pas en donner l'embarras chez toi, je suis toute prête à te rendre ce petit service. Tu feras bien encore de t'abstenir d'aller sur la colline tant que cette tempête ne sera pas calmée. À propos de tempête, j'espère que la porte de ta volière ne sera pas restée ouverte toute la nuit ? Elle était ouverte à six heures et demie mais on l'a refermée à sept heures. Probablement c'était Rosalie qui faisait son service matinal. Je te rapporte les nouvelles dans l'intérêt de ta maison que les négligences peuvent compromettre. En même temps, je fais rite d'économie en utilisant pour mes gribouillis les copeaux de tes manuscrits. Tu vois d'ailleurs, mon doux adoré, qu'il ne faut pas espérer faire une promenade demain, même en voiture. Il nous faut attendre jusqu'à l'année prochaine pour reprendre nos excursions à travers champs et à travers choux. Jusque-là, il faut nous contenter de nous aimer dans notre petit coin, ce qui n'est pas déjà si malheureux. A preuve, c'est que je vous souris à travers ma vitre et que je te bénis dans mon âme, mon adoré.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 296
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « augmenté ».

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18

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 18 octobre 1858, lundi matin, 11 h. ½

J'espère que je vais te voir avant la fin de ce gribouillis, mon cher bien-aimé, car je sais que tu as fini de déjeuner par la présence de ton Charlot et de Vacquerie dans le jardin. J'attends aussi Mme Préveraud. C'est même à cause d'elle que je te donne ma restitus si tard voulant que toutes mes affaires fussent finies et moi-même débarbouillée pour le moment où elle arriverait. D'ailleurs, c'est un PLI que je veux prendre afin d'être toujours PAREE quand vous venez le matin. Justement te voilà, quel bonheur ! Je l'avais bien dit.
Cinq heures du soir : Cher bien-aimé, je passe ma vie à te désirer et à te regretter aujourd'hui encore plus que les autres jours puisque je t'aurai vu encore un peu moins que ces jours ordinaires grâce à la présence de Mme Préveraud et à la stupidité de Suzanne qui m'avait logé ma laine et mon canevas au fond d'une malle, remplie des choses les plus incompatibles avec ce genre d'objet et qui pouvaient le plus favoriser la vermine. Enfin à force de souffrance, de fatigue et d'impatience, je suis venue à bout de retrouver ce que je cherchais mais hélas j'ai perdu à ce jeu-là l'occasion de sortir avec toi ce dont je ne me console pas.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 295
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

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17

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 17 octobre 1858, dimanche matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, je t'aime depuis un bout à l'autre de mon cœur. Comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi ? Tu as dû te coucher bien tard à cause de ton RAOUT. Quant à moi qui me suis couchée à dix heures, je n'en [n']ai pas mieux dormi pour cela et ce matin j'ai une migraine affreuse. Elle se dissipera avec le brouillard, je l'espère. En attendant, je suis assez grognon. Heureusement que personne n'en esta témoin, ni victime et que tout se passe dans mon INTIMITE. J'espère même que je serai très AIMABLE quand tu viendras, mon pauvre adoré, et que tu ne t'apercevras de rien sinon que je t'aime de toute mon âme. Jusque-là, je boude mon mal de tête et je tâche de le faire déguerpir à force de mauvaise humeur. Demain j'achèverai la copire commencée pour t'obliger à m'en donner d'autres car voilà mes arias [1] finis pour un bout de temps. Quant au projet de promenade mercredi prochain, je crains que le brouillard presque permanent ne nous empêche de la faire. Au reste, tu en décideras au moment même. Jusque-là, je reste sur mon plancher et je borne mon désir à ce que tu te portes bien et à ce que tu sois heureux. Le reste viendra quand il pourra, telle est ma philosophie ie ie ie ie ie [2].

J.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 294
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « n'en n'est ».

[1] Activités de ménage diverses.

[2] Citation de la chanson de Richard, à l'acte I scène VI du livret de Robin des Bois de Castil-Blaze et Thomas Sauvage (Odéon, 7 décembre 1824). [Remerciements à Olivier Bara et Roxane Martin].

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16

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 16 octobre 1858, samedi soir, 4 h.

Je tenais à finir mes nettoyagesa aujourd'hui, mon cher petit homme, voilà pourquoi j'ai désheuré ma restitus ce matin. Du reste l'heure, le lieu, le temps importent peu à mon cœur qui est toujours prêt à t'aimer et qui t'aime toujours de toutes ses forces maintenant que me voici à peu près pari (comme disent les marins) pour tout l'hiver. Je me mets à ta disposition pour COPIRE, le plus tôt sera le mieux pour moi ; et plus j'en aurai à faire, de la COPIRE, et plus je serai heureuse. À propos d'heureuse, il me semble que votre mystérieuse correspondante albionne s'enquiert un peu beaucoup et même trop de votre bonheur passé, présent et à venir car sa sollicitude britannique menace de vous poursuivre jusqu'aux enfers à l'abri de son nez de carton et de son stamp anonyme. Elle vous décoche des I loveyoub à faire pâmer lady Levassor aô ! Je commence môa à UNDERSTANDc la petite papière de cette womand spleenique et je trouve shockinge ses déclarations sur le mode funèbrefet encadrées comme les Nuits d'Young [1]g. Tout cela vous amuse probablement mais moi je ficherai des calottes à votre anglaise si elle continue ses roucoulements : Shame ! Shame ! Shame !

Bnf, Mss, NAF16379, f. 293
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyages ».
b) « I lowe you ».
c) « enderstand ».
d) « vauman ».
e) « chokine ».
f) Ce mot est ajouté en ligne supérieure.
g) « yung ».

[1] Les Nuits, recueil de poésies d'Edward Young (1742-1745).

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14

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 14 octobre 1858, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé adoré ; bonjour en toute hâte et avant la poussière des ramoneurs que j'attends ce matin. J'ai dû déménager depuis deux heures tout ce qui est délicat et fragile et surtout volable dans mon logis. Je viens seulement de finir ce petit tracas, regrettant de n'avoir pas pris le parti du commencement de l'été quand les jours étaient très longs, puisque d'ailleursa il est impossible d'éviter cette corvée en l'ajournant. Cette remarque tardive n'en estb pas plus consolante et ne me dispense d'aucun de mes embêtements. Cher bien-aimé, j'espère que tu as passé une bonne nuit et que ta jambe va de mieux en mieux. En attendant, je te supplie de ne pas croire que je fais ma plume en cœur par manière et par afféterie et pour que tu poursuives mes insipides gribouillis dans les [illis.]. Non, mon adoré, ce que je t'en dis, ce que je sens au plus profond de ma stupidité, c'est que je suis bête comme une oie et que je t'aime comme un ange. Voilà pourquoi j'insiste pour te cacher mon côté ridicule pour mieux te laisser voir mon âme sans aucun obstacle qui la gêne et qui l'humilie.

Juliette

Bnf, Mss, NAF16379, f. 291
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « d'ailleurs » est en ajout sur une ligne supérieure.
b) « n'en n'est ».

Guernesey, 14 octobre 1858, vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour et bonheur. Je commence ce matin une nouvelle ère de restitus ; mais je suis sûre d'avance que ce sera toujours la même chanson puisque mon cœur, mon âme, ma pensée redisent toujours le même refrain : je t'aime. Quant aux choses extérieures, elles varient si peu autour de moi, que c'est à peine si je m'en aperçois. Aussi, tous mes gribouillis ont-ils la monotonie ennuyeusea et niaise d'une chose coulée en forme. Ce n'est pas que je sois insensible à toutes les belles choses grandes et merveilleuses qui m'entourent, mais mon admiration n'a ni formule ou parole pour s'exprimer. Ce matin par exemple, tout est beau, tout est bon, tout est sublime, tout est attendrissement dans le ciel et sur la terre ; le grand horizon, les collines vertes, le ciel lumineux, la mer bleue et calme. Je vois, je comprends, je sens, j'admire, j'adore tout cela, mais tout se traduit par ce seul mot : JE T'AIME ! C'est assez pour ma propre satisfaction mais qu'est-ce que tout esprit peut faire de cet amour brut ? Qu'est-ce qu'un diamant sur papier ? Rien, qu'un beau caillou pour que l'amour puisse être porté, il lui faut une monture ciselée par l'esprit sinon il n'est bon à rien. Orb, LE MIEN D'ESPRITest un bien maladroit joaillierc qui n'est pas plus capable de sertir un sentiment qu'une perle. Ce n'est pas de ma faute mais cela n'en estd pas plus heureux pour toi que j'adore.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 292
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « hors ».
c) « jouailler ».
d) « n'en n'est ».

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13

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 13 octobre 1858, mercredi, 8 h. du m[atin]

Bonjour, mon bon petit bien-aimé ; bonjour, je t'aime de toute mon âme. J'espère que tu as passé une bonne nuit et que ta jambe va encore mieux ce matin qu'hier au soir. Soigne-la bien et prends garde à l'humidité, tâche d'avoir de bonnes chaussures bien épaisses aujourd'hui car il fait un temps pluvieux jusqu'à la moelle des os. Heureusement que tes visiteuses sont parties hier [1] car il est probable qu'elles n'auraient pas osé s'embarquer encore aujourd'hui. Cher bien-aimé, quand je pense que toutes ces pauvretés t'arriveront comme des cheveux sur de la soupe au moment où tu les liras, je suis tentée de tout flanquer par la fenêtre, y compris les plumes et l'encrier. Mon amour s'indigne de mon accouplement avec ma stupidité comme un forçat innocent de son compagnon de chaîne coupable. Cette confusion qui revient tous les jours chaque fois que mon âme essaie de se montrer à toi, m'attriste et me décourage au dernier point. Aussi, mon bien-aimé, je trouverais sage et utile, dans l'intérêt de notre amour même, de renoncer à cette petite tradition de notre jeune temps que rien n'excuse aujourd'hui. Voilà bien des fois que je te prie de consentir à la suppression de ce gribouillis quotidien que ma niaiserie remplit d'un bout à l'autre sans satisfaire mon cœur qui déborde d'amour et de tendresse. Ne te fais pas un faux scrupule pour ne pas consentir à ce que je te demande dans la fierté et la pudeur de mon amour. Je t'aime.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 290
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

[1] Mme Lucas et sa fille Alphonsine étaient arrivées le 23 septembre.

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12

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 12 octobre 1858, mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon pauvre bien-aimé ; bonjour, mon doux être adoré, bonjour. Je te croyais si parfaitement guéri hier matin, que je me suis permise des plaisanteries sur ta chère santé dont je me repends maintenant que je sais que tu souffres encore de ta pauvre jambe. J'espère pourtant que cela ne sera rien et que tu en seras quitte pour quelques bains pris un peu plus dans les règles que celui d'hier. Terrier te dira ce soir ce qu'il pense de cette petite recrudescence douloureuse et ce qu'il faut faire pour la calmer tout de suite. Jusque-là, je suis bien impatiente de savoir comment tu as passé la nuit. As-tu bien dormi au moins ? Le départ de ces dames doit causer quelque agitation ce matin dans ta maison. J'espère que ce n'est pas aux dépensa de ton sommeil et de ton repos ? Du reste, il est impossible d'avoir un meilleur temps pour s'embarquer. Je leur souhaite une bonne traversée et même beaucoup de bonheur au-delà, mes vœux ne me coûtant que la peine de les faire. Tu vas donc avoir une quinzaine de jours à toi pour te reconnaître avant l'arrivée des Belgiquois [1]. Ce n'est pas trop pour mettre au pair ta santé et tes travaux spirituels et matériels. Malheureusement personne ne peut te venir en aide efficacement pour tout cela et moi moins que personne. Je ne peux que t'aimer, t'aimer et toujours t'aimer, ce qui n'est pas assez. Ce sentiment de mon impuissance m'humilie sans me décourager et je t'aime d'autant plus que je désespère de t'être utile. Je t'aime, je t'aime, je t'aime.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 289
Transcription d'Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « au dépend ».

[1] Il s'agit de trois habitants de Bruxelles : Pierre-Jules Hetzel, Noël Parfait et Gustave Frédérix.

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11

Juliette Drouet - Thu, 03/03/2016 - 11:50

Guernesey, 11 octobre 1858, lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit homme ; bonjour, mon cher petit gaillard ; (pour rimer avec Billard dont vous êtes le héros), bonjour, allez, marchez, que rien ne vous retienne et ne vous arrête plus maintenant si ce n'est la crainte de risquer votre bonne santé que vous avez eu tant de peine à reconquérir. Cette recommandation faite une fois pour toutes, je suis heureuse de vous savoir sur pied avec armes et bagages prêta à mettre le siège devant toutes les jolies filles que vous rencontrez et capable de faire la mine pour faire sauter tous les obstacles qui se présenteraient. Quant à moi, je me contenterai de vos bulletins de campagne qui me seront après tout moins tristes que les bulletins du médecin. Du reste, la providence a été presque juste hier envers moi en me faisant commencer malgré moi la reprise du loto en vous attendant pendant que vous vous émancipiez de bonne volonté à jouer votre première partie avec Mlle Alphonsine. De cette façon, je n'ai pas eu le regret aussi amer de nos défloraisons respectives puisqu'elles s'accomplissaient simultanément à distance. AUTREFOIS nous aurions eu plus de respect pour cette tendre superstition ; mais aujourd'hui que nous sommes des esprits forts, nous dédaignons toutes ces faiblesses. Quand je dis : NOUS, c'est par politesse car au fond de mon cœur, je n'accepte pas cette solidarité de l'indifférence en matière d'amour. Je crois que j'ai eu tort de céder à la passion collective du gros Quesnard et des petits Marquand, mais je vous trouve criminel d'avoir pris l'initiative de cette impiété sentimentale que je déplore très sérieusement.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 288
Transcription d'Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « prêts ».

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